Caméra dans une partie commune à jouissance privative : Big brother can watching you ?
Vous vivez dans une copropriété et vous souhaitez installer une caméra de vidéosurveillance sur une partie commune à jouissance privative de votre immeuble ? Une réponse ministérielle du 22 septembre 2020 apporte une réponse concrète à cette question.
Le député Philippe Gosselin attire l'attention du Ministre de la Justice sur l'installation de caméras de vidéosurveillance (ou vidéoprotection) sur des parties communes à jouissance privative. Pour rappel, cette notion est définie à l'article 6-3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 comme étant des « parties communes affectées à l'usage et à l'utilité exclusifs d'un lot », sont présentes dans de nombreuses copropriétés (jardins, cours, balcons, toit-terrasses) et contiennent le plus souvent des effets et aménagements personnels. Certaines parties communes à jouissance privative sont accessibles par des parties privatives (appartements), d'autres par des parties communes (escalier, palier). Dans ce dernier cas, ces espaces sont généralement fermés à clés (cas des toit-terrasses dans les résidences). La Cnil indique sur son site que l'installation de caméras par un copropriétaire sur une partie privative, y compris dans son jardin ou sur un chemin d'accès privé, peut se faire sans demander l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, à condition toutefois que les caméras ne filment que les parties privatives. La question se pose de savoir si cette dispense d'autorisation vaut aussi pour des caméras installées sur des parties communes à jouissance privative. Il convient de préciser que les modalités d'exercice d'un droit de jouissance exclusive sont assimilées par les juges aux modalités de jouissance des parties privatives (TGI de Nanterre, 8e ch., 28 juin 2012, n° 11/09905 et TGI Paris, 8e ch. 3e sect., 13 sept. 2013, n° 12/11533). En outre, la jurisprudence considère que s'exercent, dans une partie commune à jouissance privative, les lois et règlements « qui protègent la propriété privée et la vie privée » (cf. arrêts de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 1-5, 13 juin 2019, n° 17/19455 et 3 oct. 2019, n° 17/22124 ; voir aussi TGI de Paris, 8e chambre 3e section, 25 novembre 2009, n° 08/03307). En conséquence de cette jurisprudence, pénétrer dans une partie commune à jouissance exclusive nécessite une autorisation expresse préalable du bénéficiaire de ce droit de jouissance, de la même façon que si on pénétrait dans une partie privative. On peut en déduire qu'un particulier peut, sans autorisation de l'assemblée générale, installer des caméras sur des parties communes à jouissance privative, dès lors que les zones filmées se trouvent bien à l'intérieur de celles-ci. Il convient sans doute d'informer le syndic de cette installation, sans que celui-ci ne puisse s'y opposer. Il lui demande de bien vouloir confirmer cette analyse et de préciser si d'autres modalités d'information doivent être prévues par le copropriétaire.
Dans sa réponse, le ministre de la Justice rappelle que la loi ELAN (qui a consacré légalement la notion jurisprudentielle de parties communes à jouissance privative), précise que ce droit est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché et qu'il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d'un lot. Autrement dit, elles demeurent des parties communes appartenant indivisément à tous les copropriétaires, le droit de jouissance exclusive sur une partie commune n'étant pas assimilable à un droit de propriété (En ce sens : Cass. 3ème civ. 23 mars 2008).
En somme, l'installation de telles caméras dans les parties communes d'un immeuble en copropriété doit, en principe, faire l'objet d'un vote de l'assemblée générale des copropriétaires.
Le garde des Sceaux ajoute que s'agissant de l'installation des caméras et indépendamment de leur orientation, certains juges du fond ont ainsi pu qualifier « d'emprise sur les parties communes » la présence d'une caméra fixée à la façade de l'immeuble et dirigée sur une terrasse à jouissance privative (En ce sens : TGI de Créteil, juges référés, 14 octobre 2014).
En tout état de cause, constitue un trouble manifestement illicite l'installation par un copropriétaire, en-dehors de tout consentement donné par les autres copropriétaires, d'un dispositif de vidéosurveillance orienté sur un chemin, partie commune, susceptible d'être emprunté par l'ensemble des copropriétaires et portant dès lors, atteinte au droit au respect de leur vie privée garanti par l'article 9 du Code civil et au libre exercice par les copropriétaires de leurs droits sur les parties communes (Cf. Cass. 3ème civ. 11 mai 2011).
Line Joas.
Source : Réponse ministérielle à la question n° 30267, JO Assemblée nationale du 22/09/2020, P. 6900