Changement de régime matrimonial, clause alsacienne et devoir de conseil du notaire : Un triangle vraiment amoureux ?
Vous avez basculé d'une séparation de biens à régime de communauté universelle ? Vous avez appris tardivement la possibilité d'insérer à votre contrat de mariage une clause de reprise des apports en cas de divorce ? Vous vous interrogez sur la possibilité d'engager la responsabilité de votre notaire pour manquement à son devoir de conseil ? La première chambre civile de la Cour de cassation apporte des éléments de réponse à toutes ces interrogations.
Dans cette affaire les faits étaient les suivants : Des époux mariés sous le régime de la séparation de biens ont changé de contrat de mariage au profit d'une communauté universelle. Six ans plus tard, le couple a décidé de divorcer et leurs biens ont été répartis à parts égales. L'ex-époux a assigné son notaire en responsabilité pour manquement à son devoir de conseil lors du changement de régime matrimonial. En effet, selon le requérant le notaire aurait dû l'informer de la possibilité d'insérer une « clause alsacienne » (également appelée clause de reprise des apports) en cas de divorce.
L'ex-mari a été débouté en première comme en deuxième instance de sa demande de dommages et intérêts. Pour les juges du fond, chacun des époux avait déclaré apporter à la communauté la moitié indivise d'une maison acquise ensemble et un emplacement de parking appartenant en propre à l'ex-épouse, à l'exclusion de tout autre bien.
Par ailleurs, le couple avait reçu dans l'acte, une information du notaire relative à la notion de communauté, à son ampleur ainsi qu'aux conséquences de l'inclusion ou de l'exclusion des biens de celle-ci. De plus, il a été précisé que l'ex-mari a manifestement eu l'intention d'équilibrer les droits patrimoniaux des deux époux.
L'ex-époux a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que même si les patrimoines respectifs semblent équilibrés au regard des déclarations faites dans l'acte et les raisons qui les ont poussé à adopter la communauté universelle, le notaire a commis une faute en les laissant dans l'ignorance au sujet de la « clause alsacienne ».
Dans son arrêt du 3 mars 2021 (pourvoi n° 19-16065), la première chambre civile de la Cour de cassation réfute l'argumentaire de l'ex-mari et confirme la position des juges du fond. En effet, la Haute juridiction rappelle que « Le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties sur la portée et les effets ainsi que sur les risques de l'acte auquel il prête son concours, et, le cas échéant, de le leur déconseiller. Cette obligation doit prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l'acte, lorsque le notaire en a eu précisément connaissance ». Les magistrats du quai de l'Horloge considèrent ainsi qu' « en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu en déduire que le notaire n'était pas tenu d'informer les époux de la possibilité d'insérer une clause de reprise des apports en cas de divorce dès lors qu'au regard de l'équilibre des éléments d'actif que, selon leurs propres déclarations, ceux-ci apportaient à la communauté, une telle clause ne présentait pas d'intérêt ».
Pour rappel, la « clause alsacienne » permet de prévoir que les biens et capitaux possédés avant le mariage mais apportés à la communauté conjugale reviennent dans le patrimoine du propriétaire au moment du divorce et cela sans passer par la case partage. Une telle clause de reprise des apports s'avère utile en cas de divorce suite à un changement de régime matrimonial vers une communauté universelle car ce régime communautaire a pour impact la mise en commun de tous les biens détenus par les époux avant ou après le mariage (excepté les biens propres).
Line Joas.
Source : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043253084?isSuggest=true