Covid-19 et changement de régime matrimonial : un mariage heureux ?
Les besoins des époux peuvent évoluer en cours d'union. C'est pourquoi, afin de mieux correspondre à leur nouvelle situation, un changement de régime matrimonial pourra être opéré. Pour ce faire, le couple doit dans un premier temps s'adresser à un notaire puis, dans certains cas, faire homologuer le nouveau régime matrimonial par un juge. Dans un second temps, les époux doivent informer leur(s) enfant(s) majeur(s), ainsi que leurs créanciers des modifications envisagées. Mais que se passe-t-il lorsque le délai pour former opposition au changement de régime arrive à échéance pendant la période juridiquement protégée s'étalant du 12 mars au 24 juin 2020 ?
Les analyses et commentaires de ce blog constituent des réflexions personnelles et n'engagent pas l'Etude Cheuvreux.
Comment
se matérialise l'obligation d'information en cas de changement de régime
matrimonial ?
L'article 1397 du Code civil précise les modalités relatives à l'obligation d'information des enfants majeurs et des créanciers. Il résulte de ce texte que :
« Les personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont informés personnellement de la modification envisagée ». Le législateur a également pris soin de préciser que « chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans le délai de trois mois » (alinéa 2). Enfin, les créanciers sont informés par la publication d'un avis dans un journal d'annonces légales et « chacun d'eux peut s'opposer à la modification dans les trois mois suivant la publication » (alinéa 3).
Que prévoient les ordonnances Covid-19 de mars et avril 2020 ?
L'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 met en place un mécanisme de report du terme ou de l'échéance pour « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période » allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 (date de fin de l'état d'urgence sanitaire majorée d'un mois).
De plus, il est précisé qu'il « sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » (soit au plus tard au 24 août 2020).
L'article 2 de l'ordonnance du 15 avril n° 2020-427 précise, à titre interprétatif, que les délais de réflexion, de rétractation et de renonciation sont exclus du champ de l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020. Autrement dit, ces derniers s'achèvent par conséquent dans les conditions habituelles, même s'ils expirent durant la période juridiquement protégée.
Que se passe-t-il si le délai d'opposition de trois mois arrive à échéance entre le 12 mars et le 24 juin 2020 ?
Cette question nécessite une réflexion particulière. En effet, il s'agit ici de se demander si les personnes susceptibles de s'opposer bénéficient de la prorogation des délais prévus par les ordonnances Covid-19 visées supra.
Si on opère un raisonnement a contrario, on peut penser que les délais non expressément cités dans l'article 2 d l'ordonnance du 15 avril peuvent être prorogés.
Par ailleurs, le fait de former opposition semble constituer une « formalité » ou une « notification » prescrite par la loi, si nous nous référons aux dispositions de l'article 1300-1 du Code de procédure civile. La condition de « déchéance d'un droit » est ici remplie dans la mesure où à l'expiration du délai de trois mois, le droit de s'opposer est perdu).
En somme, il paraît opportun d'appliquer les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 lorsque le délai d'opposition arrive à échéance durant la période juridique protégée. Cela permettrait aux enfants majeurs et aux créanciers des époux de former opposition jusqu'au 24 août 2020.
Serait-il envisageable que les bénéficiaires de la prorogation du délai d'opposition puissent y renoncer ?
A la lecture des textes, rien ne semble l'empêcher. En d'autres termes, dès lors que le délai légal incompressible de trois mois aura expiré, les personnes susceptibles de s'opposer au changement de régime matrimonial, pourraient expressément renoncer à la possibilité d'exercer cette faculté jusqu'au 24 août.
Autrement dit, si les enfants majeurs ont reçu la notification du changement de régime matrimonial du couple le 14 février 2020. Ils auraient eu habituellement jusqu'au 14 mai pour exprimer cette opposition (par lettre RAR ou par acte d'huissier adressé au notaire ayant établi l'acte). Or, cette date tombe durant la période juridiquement protégée. En conséquence, en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ces derniers pourraient s'opposer jusqu'au 24 août. Mais, à compter du 14 mai inclus, il semble possible qu'ils puissent renoncer au bénéfice d'une telle prorogation.
Line Joas.