Crocs : Quand le célèbre sabot se fait perforer en justice !
Dans le tourbillon incessant de la mode, où les tendances naissent et meurent à la vitesse d'un story Instagram, certaines pièces parviennent à s'ancrer, à transcender les saisons pour devenir de véritables icônes. Pensez-y : une silhouette que vous avez vue conquérir le monde, défiler aux pieds de millions, et même s'inviter sur les tapis rouges les plus inattendus. C'est précisément le destin du célèbre sabot perforé de Crocs. Qu'on le porte avec ferveur ou qu'on le relègue au rang de "fashion faux pas", son statut d'objet culte est incontestable. Mais aujourd'hui, cette star des pieds décalés n'est pas sous les projecteurs d'un défilé, mais au cœur d'une bataille juridique fascinante, remettant en lumière les défis incessants de la protection des designs uniques dans l'univers impitoyable de la mode et du luxe. Préparez-vous à plonger dans les coulisses de cette affaire où le style rencontre le droit, et où la propriété industrielle se révèle être un terrain aussi glissant qu'un catwalk sous la pluie.

Quels étaient les faits de cette affaire ?
Depuis 2004, le sabot perforé de Crocs était protégé par un modèle communautaire, semblant inébranlable. Mais le monde juridique a ses propres collections "rétro". Une entreprise concurrente a ressorti des archives d'Internet, via la fameuse "Wayback Machine" (archive.org), un sabot rouge étrangement similaire, datant de 2003. Imaginez la surprise : une preuve de divulgation antérieure, trouvée dans les limbes du web ! L'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) n'a pas hésité à prononcer la nullité du modèle Crocs pour défaut de caractère individuel. Crocs a bien sûr riposté, arguant de différences visuelles significatives, notamment cette fameuse sangle au talon, et reprochant à l'Office une analyse trop superficielle.
La Chambre de Recours de l'EUIPO : Pourquoi une telle rigueur ?
La Chambre de recours de l'EUIPO a confirmé la nullité, avec un raisonnement méthodique qui devrait nous éclairer. D'abord, l'antériorité invoquée a été jugée recevable, car les archives Internet constituent une preuve valide de divulgation.
Ensuite, la notion d'utilisateur averti a été affinée. Il ne s'agit pas d'un simple consommateur, mais d'une personne familière des modèles de sabots, dotée d'un degré d'attention élevé quant à leurs caractéristiques.
Enfin, la liberté du concepteur dans le domaine des sabots a été jugée large, notamment sur des éléments esthétiques comme les matériaux, les éléments décoratifs ou les motifs. Plus cette liberté est étendue, plus les différences entre deux modèles doivent être significatives pour produire une impression globale différente chez l'utilisateur averti.
Qu'est-ce qui a fait pencher la balance contre Crocs ?
Malgré la sangle arrière, considérée par Crocs comme une différence majeure, la Chambre de recours l'a jugée secondaire. Pourquoi ? Parce que la forme générale des sabots, la répartition et les dimensions des perforations, ainsi que la structure de la semelle, étaient identiques ou très similaires à l'antériorité. Pour l'utilisateur averti, ces éléments suffisaient à créer une même impression visuelle d'ensemble. En somme, la sangle ne suffisait pas à altérer la perception globale du sabot.
La liberté de conception : Une fausse amie pour les designers ?
Cette décision souligne un point crucial : l'importance du degré de liberté du concepteur dans l'appréciation du caractère individuel d'un modèle. Même si l'utilisateur averti peut identifier la sangle arrière, cette particularité n'a pas été suffisante pour conférer au modèle Crocs une individualité propre. Le designer, bien qu'ayant une grande liberté de conception, aurait dû s'éloigner davantage du modèle antérieur.
Il est vrai que les sabots Crocs ont une fonction utilitaire prédominante (jardinage, tâches ménagères), ce qui impose certaines contraintes techniques (facilité d'enfilage, morphologie du pied, stabilité). Sur ces points, la liberté créative est restreinte. Cependant, pour les éléments relevant d'un choix purement esthétique (matériaux, couleurs, motifs, ornements), la liberté est quasiment illimitée. C'est sur ces aspects que le designer aurait dû faire preuve d'une plus grande originalité pour se démarquer.
Conclusion : Cette décision, bien que non définitive (un recours devant le Tribunal de l'Union européenne est encore possible), est un rappel éclatant pour les designers et les juristes en propriété intellectuelle : l'originalité ne se présume pas, elle se démontre. Même les icônes de la mode doivent constamment prouver leur distinction et leur caractère individuel face à l'art antérieur. La saga jurisprudentielle autour des modèles Crocs est loin d'être terminée, et il y a fort à parier qu'elle nous réserve encore de nouveaux rebondissements.
Affaire à suivre…
Line JOAS.