Ferragamo vs. Audrey Hepburn : Quand les ballerines font valser le droit à l'image
Dans l'écrin doré de la mode italienne, où l'élégance se tisse fil après fil, l'histoire d'amour entre Audrey Hepburn et les créations intemporelles de Salvatore Ferragamo est une légende murmurée. Imaginez les rues pavées de Rome, l'air empreint de la douceur des cyprès, et les pas légers d'Audrey, sublimés par des souliers nés de l'inspiration d'un génie. Ces ballerines, devenues iconiques, ont traversé le temps, portant en elles le souffle d'une muse et l'art d'un maestro. Mais que se passe-t-il lorsque cette rêverie stylistique rencontre les réalités du droit ? Une décision de la Cour de Cassation italienne nous invite à explorer cette rencontre inattendue, où le mythe et la mémoire se confrontent aux exigences de la propriété intellectuelle, redéfinissant les contours de ce qui est permis dans l'univers étincelant du luxe.

Quels etaient les faits de cette affaire ?
Tout a commencé en 2017. Les héritiers d'Audrey Hepburn ont découvert que la marque "Ferragamo" commercialisait et mettait en avant trois modèles de chaussures – les célèbres ballerines "Audrey", la "Sandale Gondoletta" et la "ballerine Idra" – en les associant explicitement au nom de l'actrice. Pour les ayants droit, c'était une violation du droit au nom et à l'image de leur mère, et même une contrefaçon des marques "Audrey Hepburn" qu'ils détenaient.
Pourtant, les tribunaux italiens, du Tribunal de Florence à la Cour d'appel, ont systématiquement rejeté leurs demandes. La raison ? L'usage du nom d'Audrey Hepburn par "Ferragamo", bien que commercial, était considéré comme principalement informatif. Cette distinction cruciale a été confirmée le 23 février 2024 par la Cour de Cassation italienne.
Où se situe l'équilibre délicat entre information et publicité ?
Le cœur du litige reposait sur la finalité de l'utilisation du nom. Les héritiers d'Audrey Hepburn soutenaient que l'usage par "Ferragamo" était purement publicitaire, cherchant à capitaliser sur l'aura de la mythique actrice pour vendre des produits. La Cour de Cassation italienne, reprenant le raisonnement de la Cour d'appel de Florence, a estimé que même si l'usage avait une dimension commerciale "au sens large", sa finalité informative prédominait.
Prenez par exemple les ballerines "Audrey" : leur appellation avait été autorisée par la fondation "Audrey Hepburn Children's Fund" via un contrat en 2000. Pour les "Sandale Gondoletta" et "ballerine Idra", les descriptions sur le site de "Ferragamo", comme "ayant été porté par Audrey Hepburn" ou "modèle original créé par Salvatore Ferragamo en 1959 pour l'actrice Audrey Hepburn", ont été jugées purement descriptives du contexte de création des chaussures. Elles visaient à mettre en avant l'origine prestigieuse des créations, relevant ainsi de l'information plutôt que de la simple promotion.
La Cour suprême de Rome a rappelé un principe essentiel : l'usage du nom et de l'image d'une personne est illicite s'il est exclusivement lucratif et ne sert pas d'autres fins (information, didactique, culturel, scientifique, etc.). Elle a souligné la nécessité d'un équilibre entre les intérêts en jeu : d'un côté, le respect du nom et de l'image, de l'autre, la liberté d'entreprendre et le droit d'informer. En d'autres termes, même en présence d'un but publicitaire, la finalité informative peut prévaloir, rendant l'usage du nom et de l'image licite sans autorisation.
Quelles sont les implications pour l'industrie du luxe et de la mode ?
Cette décision ouvre un nouveau chapitre dans la gestion des droits à l'image des personnalités dans l'industrie du luxe. Elle ne doit cependant pas être perçue comme un "blanc-seing" pour l'utilisation non autorisée des noms et images. Au contraire, elle invite à une prudence accrue et à une analyse au cas par cas. Cette jurisprudence met ainsi en balance les intérêts commerciaux et informatifs, en rappelant les limites du droit d'auteur, qui interprète traditionnellement les exceptions de manière stricte. Un usage informatif, même dans un contexte commercial, pourrait être jugé illicite s'il est préjudiciable à l'honneur et à la réputation de la personne.
La solution posée par cette affaire soulève des interrogations sur la valeur des limitations temporelles aux licences fondées sur le droit à l'image et le droit des marques, surtout lorsqu'un ancien licencié peut y faire référence à titre commercial sous couvert de l'histoire. Elle pose également la question de savoir si la décision aurait été la même si l'égérie était toujours vivante et quel serait alors le sort des contrats exclusifs d'exploitation d'image à des fins publicitaires.
Conclusion : Cette affaire Ferragamo/Hepburn marque un tournant, soulignant l'importance de la finalité informative dans l'utilisation du nom et de l'image des personnalités. Elle invite ainsi les acteurs du luxe et de la mode à une réflexion stratégique : comment intégrer leur riche histoire et leurs collaborations passées sans franchir la ligne de l'usage purement commercial non autorisé ? Il s'agit d'un défi passionnant exigeant finesse juridique et créativité, dans un droit à l'image en constante évolution.
Line JOAS
Source : https://nunziantemagrone.it/en/opinions/ferragamo-triumphs-in-the-supreme-court-audrey-hepburns-name-forever-linked-to-florentine-fashion-houses-flats/